J’ai avalé mon histoire comme j’ai mangé la tienne, Poète, Sculpteur ou Peintre d’éternité au présent… Quel repas, dis-tu, avons-nous partagé ? À quand, et avec qui , le prochain ? On verra... On lira ... | Marie-Thérèse PEYRIN - Janvier 2015

Winfried VEIT

Tu voulais finir ce portrait … d’Ange… et de Mémoire

 

 

Tu faisais

vite, tu voulais finir ce portrait

du ciel avant l’orage.

 

*

Qu’il réveille les anges,

ce cri

qui ne cesse pas.

 

 

Je porterai le temps sur l’épaule

pour marcher

mieux

 

 

Claude ESTEBAN, Morceaux de ciel, presque rien, 2001

 

 

 

Une foule sans bords de migrants s’ébranle à chaque heure

en direction de l’occident […]

Chaque foule ouvre une meurtrière à travers laquelle

se présente un paysage dévasté[…]

Chacun des personnages de cette foule a son propre texte

à chanter, mais il est impossible de reproduire ces voix,

maintenant qu’elles ont été anéanties. Ce qui nous est donné

de faire, c’est d’essayer de faire entendre leur âme  […]

 

Philippe RAHMY, 2009

 

Winfried VEIT Des stèles aux étoiles
Winfried VEIT

 

On tourne autour d’une image, celle de l’ange auquel on ne croit pas, lui donnant volontiers les noms légendaires d’ICARE le présomptueux , ou de PROMETHEE  le voleur de feu. Il n’existe pas d’ange au féminin, mais on dit souvent que l’ange n’a pas de sexe, l’ange comme l’eunuque ou le transsexuel, aurait la voix des deux, alternativement, successivement plutôt. Par choix personnel ? Il est facile de délirer sur la notion d’ange, puisqu’il s’agit d’une fiction inventée par la religion et qui désigne l’instance à qui l’on donne la mission d’intercéder entre le mystère de la création et le sort des créatures terrestres. L’ange est aussi un supplicié à qui on a noué les bras en arrière, suspendus sur un poteau d’extermination, dont le corps s’est affaissé sous la fatigue et la douleur … Pas besoin d’image …  On n’en finit jamais avec l’illusion d’un pouvoir captif du Désir humain pour changer le cours des événements et des choses à son profit, pour sa survie physique et morale. En s’inventant un ange gardien, chacun peut encore prétendre prendre le risque de sa vie même, il peut plus ou moins consciemment s’éloigner de la prudence et chercher à sauter de haut ou voler plus loin, conquérir des moyens d’indépendance illimitée... C’est pour cela qu’on a inventé les balançoires, les avions, les hélicoptères, les fusées spatiales et les satellites afin de surveiller ou s’éloigner de la planète encombrée et polluée. Les anges seraient donc les ancêtres des enfants insouciants, des cosmonautes mais en plus érudits, c’est-à-dire, immatériels. Quant au statut des internautes, personne n’a pu jusqu’ici synthétiser les preuves qu’ils participent au même office. La qualité des prestations est difficile à valider. Il n’y a rien d’angélique à première vue dans les échanges sur le web. Ce qui tend à prouver qu’on est encore bien rivés à la vieille planète. On ne sait même plus qui a posé le premier poème sur le web ! Maintenant que la météo s’y affiche et qu’on voit arriver les dépressions et les catastrophes naturelles ou pas, les bulletins de santé du moral collectif sont diffusés sans discontinuité et celui des individus tend à être englouti dans les flots déversés. C’est comme si chacun(e) devait se débarrasser de son ange-gardien en même temps que les autres, pour faire le boulot lui-même. Il n’existe pas d’école de navigation dans la spiritualité sans accessoires, et l’usage des plumes est aujourd’hui trop répandu et biodégradable pour ne pas être contesté. La poésie est une piste d’atterrissage, rarement un tremplin universel pour l’humanité déboussolée. La peinture réinvente le ciel autant que son contraire dans les chutes abyssales de lumière et les ombres surmontées… C’est déjà un progrès pour la verticalisation, l’élévation,  la dignité et la modestie.

[ … ]


L’ Ange mécontent

 

Ange mécontent  Piazzole

 

Pour Angèle & Yves en pensant à Winfried

 

L’ANGE MÉCONTENT

 

Je n’imaginais pas jusqu’ici qu’il pouvait exister. Je n’imaginais pas avant de le rencontrer dans un livre sur les menuiseries traditionnelles en corse de Joseph ORSINI. Il a été  sculpté et peint sur la porte de l’église Anunziata à Piazzole (Orezza) mais la reproduction de son visage me semble trop enfantine et boudeuse pour paraître d’origine. Ange atypique et mystérieux. D’autres photos du livre pourtant, semblent attester le passage d’artiste (un ou plusieurs ?) plutôt facétieux et peu soucieux des proportions, ou des perspectives du dessin. Imagerie religieuse  artisanale et dévote créée par un villageois inspiré ? On ne serait pas étonnés  de  retrouver ces évocations figuratives dans un Musée d’Art Naïf du continent.  Il aurait fallu pour cela que quelqu’un se soit avisé de démonter les portes pour leur faire franchir la Méditerranée. Mais contrairement aux légendes, on ne déplace pas aussi facilement un ange mécontent. Celui-ci semble avoir perdu ses ailes, et l’on n’est même pas certains qu’il s’agisse d’un ange. Il semble sorti d’une forêt d’arbres-champignons hallucinogènes, il s’éternise tristement à guetter la  venue de paroissiens qu’on ne voit pas dans le livre. Le bois peint est sec, écaillé et blanchi par les intempéries et l’oubli des hommes. Cela peut expliquer aujourd’hui sa mauvaise humeur et ses yeux  de plus en plus réprobateurs.  Comment comprendre et consoler un ange mécontent ? J’attends peut-être une réponse d’ébéniste, d’historien, de sociologue ou d’artiste contemporain, la réponse ecclésiastique me semblant obsolète. Les anges contemporains s’ils existent, disent presque tous : Chut ! Ils sont, un jour ou l’autre, licenciés économiques, propulsés dans la Télé-Réalité en CDD, sauf les plus coriaces qui se maintiennent dans le haut de la hiérarchie sociale, que Régis Debray appelle parfois les médias incarnés par les porteurs de messages non divins. L’ange mécontent a bien raison de rester là où il est. Les dégâts sont suffisants. Mais que la Corse est belle dans ses ruines pieuses de montagne protégées par la mémoire de la mer !


Quant aux Anges... avec l'aide de Christian BOBIN

Cherchant pour Winfried VEIT,des explications dans les livres de poètes sur les motifs de chute d'anges ... Si l'on poursuit le raisonnement de Christian Bobin, l'Ange qui chute est-il en panne de parole ? N'a-t-il plus rien à transmettre ? Est-ce un problème d'écoute, un manque d'écoute ? Une flèche malencontreuse dans le vif d'un coeur  terrestre ?

 

BARCELO MIQUEL L'Ours blessé 2000
Miquel Barcelo, L'ours blessé, 2000.

 

"Quant aux anges... ils ne viennent, quand ils viennent, que pour une seconde. Mieux vaut leur parler avec peu de mots pour avoir chance de se faire entendre. Et d'ailleurs quoi leur dire. Ils ne viennent pas en leur nom. Ils viennent au nom de la vie, ils nous apprennent quelque chose et à peine nous l'ont-ils apprise, cette chose , qu'ils repartent dans un tournoiement d'ailes.Les anges et les écrivainsfont le même métier, métier de plume, métier d'éclair. Mais là aussi prenons un exemple. Un exemple récent, vieux d'à peine deux mille ans. Un ange s'approche d'une jeune femme de Palestine, il lui dit bonjour, vous allez avoir un enfant, il ne sera pas de votre mari, pas d'un autre homme, ce sera l'enfant béni de dieu, au revoir. C'est, vous me l'accorderez, une annonce qui afait depuis quelque bruit. Rien de plus simple, rien de plus bref qu ces paroles : l'ange ne s'est pas embarrassé de grandes formules, de longues phrases méditatives, de théories sur la génétique ou sur la psychanalyse. Il a dit ce qu'il avait à dire. Il l'a dit simplement,  ce qui ne veut pas dire : sans ombre. C'est d'ailleurs çà un ange, ce n'est rien d'autre : une parole. D'où qu'elle vienne. Une parole qui vient nous délivrer par sa simplicité, nous éclairer par son mystère.Le frôlement d'ailes d'une parole pauvre."

 

Christian BOBIN, Une paire de chaussures neuves, Entretien avec  Nelly Bouveret,

La passe du vent,1999, p.45.